Le travail humain à l'épreuve des technologies

Cycle de conférence 2018

Les problématiques technologiques ne sont pas de simples préoccupations techniques, dans la mesure où elles sont structurantes du point de vue de l’organisation du travail et de la santé au travail, mais aussi de la transformation de l’emploi et de la construction des compétences. En ce sens, l’introduction de robots et/ou de technologies numériques dans les organisations de travail s’inscrit dans des projets de développement de l’activité, et réinterroge le rôle et le fonctionnement des organisations du travail.

Face à des enjeux multiples, l’émergence de la robotique peut apparaître comme une réponse à la solution mais aussi comme un problème, sachant qu’ils déterminent les formes de travail et qu’ils ne sont plus mis en soutien aux formes que peut prendre le travail humain. En effet, les robots comme les technologies numériques dans leur ensemble, sont ambivalents.
Par exemple, en dépit des espoirs que la robotique permet de nourrir en matière de santé au travail, de conditions de travail ou de QVT (baisse de la pénibilité, amélioration de la conciliation des temps, travail collaboratif…) les problèmes posés par l’introduction des robots, et plus largement des technologies numériques, sont de plusieurs ordres.

Ces équipements dans les organisations sont coûteux.
Leur introduction s’inscrit dans des perspectives stratégiques, des logiques gestionnaires avec des cadres managériaux soutenant des processus de rationalisation.
Au-delà des questions de destruction/création d’emplois (qui suppose un soutien à la formation), ces nouvelles formes de mise en process du travail peuvent produire des effets d’intensification, de densification et de fragmentation du travail. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité des institutions de la prévention/promotion de la santé au travail (au premier rang desquelles les organisations de travail elles-mêmes) à mieux prendre en compte et en charge les effets de la robotique industrielle et des NTIC sur la santé des personnes et des organisations*.

* Source : ANACT

Le cycle de conférences 2017-18 abordera ces différents aspects tant d’un point de vue technologique que sociétal.

Du rôle des TIC dans la transformation digitale de l’activité et de la santé au travail

csti

Les changements technologiques actuels se caractérisent par la diversité, la régularité, la rapidité, voire parfois même, une certaine brutalité dans la diffusion des innovations techniques qui touchent tous les domaines de notre vie : professionnelle, sociale et domestique. Ainsi, vivre et travailler aujourd’hui, ce n’est plus vivre comme avant, c’est-à-dire avec l’ordinateur en plus ; c’est bien vivre dans l’univers des technologies, avec lesquelles il faut apprendre à composer et à s’organiser.
La technologie n’est donc plus un simple outil au service de la tâche, c’est toute l’activité qui se trouve intriquée, articulée autour de ces technologies, avec des reconfigurations majeures pour les conditions d’exercice de nos pratiques socioprofessionnelles. Dans ce contexte hyper-médiatisé, la question n’est donc pas seulement d’imaginer « ce que peuvent faire (encore de mieux) les technologies » mais plutôt de s’interroger pour savoir «ce que nous pouvons faire de mieux avec l’aide de ces systèmes », c’est-à-dire quels services ces outils doivent-ils rendre pour nous permettre de mieux travailler et de mieux nous accomplir dans l’activité.

Conçus comme de réels assistants techniques, ces dispositifs peuvent ainsi fournir des ressources qui peuvent soulager l’individu de tâches non seulement complexes ou dangereuses, mais également monotones, rébarbatives et peu valorisantes. Le temps et les ressources dégagées vont alors permettre au professionnel de s’impliquer dans des occupations à plus forte valeur ajoutée.

Pour autant, si les technologies peuvent revaloriser le travail et requalifier l’individu, elles peuvent également contribuer à dénaturer l’activité et à dessaisir le sujet de tout ce qui faisait sens pour lui : dans ses pratiques et ses liens professionnels, dans ses marges de manœuvre et son rapport au travail. La médiatisation technologique de l’activité peut donc se faire au détriment du salarié et de son travail. Soit parce que les TIC sont implémentées pour se substituer à l’individu et s’approprier ce qui représente le cœur de son activité. Soit parce que ces outils impliquent des reconfigurations et des exigences telles qu’elles déstabilisent le travail et fragilisent les individus et les collectifs en place.

La conférence tentera d’apporter des éclairages sur ces enjeux tant sur l’aspect organisationnel que sur les questions de santé au travail.

Conférencier : Marc-Eric Bobillier Chaumon

Marc-Eric Bobillier Chaumon est professeur de Psychologie du travail et psychologie ergonomique, Directeur-adjoint du laboratoire GRePS- Lyon 2 (Groupe de Recherche en Psychologie Sociale), Institut de Psychologie.

Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique

csti

Paris, le Seuil, 2017

Les activités de travail ne se limitent pas au cadre du salariat. D’autres activités laborieuses sont menées en dehors de l’entreprise. Le travail d’à côté des classes populaires ou le do it yourself des classes moyennes correspondent à deux situations de cet autre travail qui se distingue des loisirs et a été pourtant largement ignoré par la sociologie du travail. Cet autre travail qui s’inscrivait dans un écosystème local et fermé prend une autre forme avec le numérique. On assiste à l’émergence d’un nouveau régime du travail, celui du travail ouvert. Un continuum apparaît entre les activités menées pour soi et les activités professionnelles. L’individu utilise les nouvelles ressources auxquelles il peut accéder : auto-apprentissage, coopération à distance, élargissement des destinataires de son activité, dans un cadre marchand ou non-marchand. Il devient non seulement auto-entrepreneur, mais aussi entrepreneur de sa propre vie.

Le numérique offre des outils de travail permettant l’autonomie et la coopération. Les plateformes permettent d’accéder à des dispositifs de coopération large et également à des marchés plus vastes. Autant d’opportunités qui permettent de changer le travail. Grâce aux outils numériques pratiqués dans l’espace privé, il devient plus facile de produire pour soi ou pour d’autres. Le plaisir de faire se combine avec le plaisir d’affirmer son identité en montrant sa production sur son site ou sur sa page, avec le plaisir de donner mais aussi la nécessité de gagner sa vie. Le passe-temps agréable se combine alors avec la nécessité économique. Les différents ressorts de l’engagement s’entremêlent. La mise sur le marché amène à contourner les barrières professionnelles, en s’appuyant sur les possibilités offertes par les plateformes, au niveau local comme au niveau mondial. Le travail ouvert glisse constamment de la production pour soi au don et au marché. Il y a là des voies fécondes en vue de réinventer le travail professionnel.

Mais cette diversité du travail ouvert n’empêche pas les inégalités. Les individus ne sont pas égaux face à ces nouvelles formes de travail. Les cadres et ceux qui exercent des professions cognitives sont confrontés constamment à des exigences en matière de créativité individuelle. Ils peuvent plus facilement combiner plusieurs activités, ou construire des effets de synergie entre activités privées et activités professionnelles. Ce sont des travailleurs digitaux intégrés. Pour les ouvriers et les employés, les opportunités que donne le travail ouvert sont plus restreintes. Il s’agit prioritairement de services à la personne : chauffeur de VTC ou réparateur à domicile. Voici des voies largement fréquentées en vue de changer de travail, d’en trouver un dans le cas des chômeurs. Pour les travailleurs désaffiliés, leur chance d’accéder à un travail numérique, sans aucune barrière à l’entrée, est beaucoup plus faible. Le « travail du clic » est une des seules possibilités qui leur soient offertes. Dans les services ou le travail du clic, les plateformes occupent une place dominante. L’autonomie du travailleur est plus faible : il est très largement sous la dépendance de ces dernières.

Cette recherche s’appuie sur un travail historique sur les formes de l’autre travail, sur une analyse secondaire de l’enquête INSEE Histoires de vie et sur une série d’entretiens des nouveaux travailleurs du numérique.   

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Conférencier : Patrice Flichy

Patrice Flichy, Professeur émérite de sociologie à l’université Paris Est- Marne la Vallée et chercheur au LATTS. Directeur de la revueRESEAUX, communication, technologie et société. Domaines de recherche : histoire de l’internet, les activités amateurs et le travail numérique.
A notamment publié :

  • L’imaginaire d’Internet La découverte 2001
  • Le sacre  de l’amateur, Paris, Le Seuil, 2010
  • Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique, Paris, Le Seuil, 2017.


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